vendredi 28 décembre 2012

Certaines n'avaient jamais vu la mer


Ce livre évoque, de manière romancée, l'histoire collective de ces femmes japonaises qui émigrèrent aux USA au début du XXè siècle, pour y retrouver des maris qu'elles n'avaient jamais vus. La narration est à la première personne du pluriel et à l'imparfait, donnant à ces 140 pages une dimension épique, incantatoire, à la manière d'un chant s'élevant de multiples voix anonymes. Voix de toutes ces Japonaises et de leurs foyers oubliés de l'Histoire, qui déployèrent des trésors de patience et de ténacité pour se faire une place au soleil américain, et qui perdirent tout avec la guerre, du jour au lendemain.
Plus qu'un roman, ce livre est un magnifique hommage que l'auteur rend, à partir d'une documentation particulièrement riche, à toutes ces femmes et à leurs familles.

Incipit :

Bienvenue, mesdemoiselles japonaises !

Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats, et nous n'étions pas très grandes. Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements, mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté - hérité de nos soeurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint.

jeudi 20 décembre 2012

Le sermon sur la chute de Rome

Habituellement, je ne goûte guère les auteurs aux phrases interminables. Mais Jérôme FERRARI fait désormais partie des (rares) exceptions, tant son écriture est fluide, riche et envoûtante. Ses phrases (dont certaines font une page !) semblent respirer. Et, au détour d'une virgule, une perle d'humour parfois se dévoile, renforçant en contre-point le climat de "fin du monde" qui baigne ce roman. Car il s'agit bien de cela, ici : une succession de mondes qui disparaissent, avec ou sans fracas : celui de Matthieu et Libero, mais aussi celui d'Aurélie, ou celui de Marcel, tout comme celui de Rome, dont Saint Augustin fit un sermon, depuis Hippone, en 354 (sermon qui constitue la quasi totalité du dernier chapitre)...
Un très beau roman, qui donne en outre l'occasion de découvrir la vie d'un petit village corse des environs de Corte et de ses habitants, aux caractères aussi attachants qu'inquiétants.

Incipit :
Comme témoignage des origines - comme témoignage de la fin, il y aurait donc cette photo, prise pendant l'été 1918, que Marcel Antonetti s'est obstiné à regarder en vain toute sa vie pour y déchiffrer l'énigme de l'absence. On y voit ses cinq frères et soeurs poser avec sa mère. Autour d'eux, tout est d'un blanc laiteux, on ne distingue ni sol ni murs, et ils semblent flotter comme des spectres dans la brume étrange qui va bientôt les engloutir et les effacer.

mercredi 12 décembre 2012

Les vieilles

Drôle et féroce.
Le Trou : c'est le nom de cette petite ville, quelque part dans le Sud, où il fait toujours beau. Une ville peuplée presque exclusivement de vieilles. Vieilles dont on suit la vie quotidienne, répétitive. Comme un lent tic tac. Les vieilles et leurs certitudes (ce livre regorge d'affirmations savoureuses !), leurs manies, leurs petits et grands secrets, leur naïveté mais aussi leur férocité.
Et puis, soudain, deux évènements viennent bouleverser totalement cet univers de vieilles dentelles.
Un petit livre (un peu plus de 200 pages) à lire absolument avant la fin du monde, une tasse de thé fumante et quelques petits biscuits à portée de la main...

Incipit :
La télé est à fond. L'immeuble entier en profite. C'est Mme Rousse qui est sourde comme un pot. Elle est gentille à part ça, Mme Rousse. Elle est vieille depuis si longtemps ! Tous les mardis, elle va au salon de coiffure "chez Josée". Un salon minuscule, à l'abri des intempéries et des métamorphoses. Josée aux cheveux rouges coiffe avec application une kyrielle d'octogénaires qui viennent chez elle parce qu'elles sont toujours venues là.

lundi 3 décembre 2012

La chambre des morts

Ce livre date de 2005, mais c'est celui qui a véritablement placé Franck Thilliez sous les feux de la rampe.
La chambre des morts a d'ailleurs été adapté au cinéma (voir ici).
Très bon livre, au suspens bien dosé et à l'écriture fluide. Les descriptions du vieux Lille, des corons lensois ou de Dunkerque ne vous feront plus voir ces lieux avec le même oeil !
Ayant déjà lu La mémoire fantôme (2007, voir le billet sur ce blog), j'ai donc retrouvé les principaux personnages (dont Hennebelle) dans une situation "antérieure", ce qui n'est pas gênant en soi.
Quoiqu'il en soit, ce livre donne envie de lire d'autres romans de Thilliez. Comme le tout dernier, par exemple ?

Incipit :

Prologue
Août 1987 - Nord de la France


Depuis la nuit dernière, l'odeur avait encore empiré. L'infection ne se contentait plus d'imprégner les draps ou les taies d'oreiller, elle se diluait dans toute la chambre, tenace et nauséeuse. Une fois son tee-shirt ôté, la fillette l'avait écrasé sur son nez avant de nouer les extrémités autour de sa tête. Stratagème inefficace. Malgré la barrière de tissu, les molécules olfactives distribuaient leur poison invisible. Il est des fois où l'on ne peut rien contre plus petit que soi.